Quelle lecture didactique dans le cadre des situations problèmes et de la problématisation ?
Un article de Ouitre Florian [1], Lambert Jean-Luc [2], présenté à la session "Enseigner avec des méthodes Agiles" repris des actes du Colloque QPES 2015 (Page 249 à 259).
I. INTRODUCTION
Dans l’enseignement supérieur, le constat est souvent fait que les étudiants, comme les élèves des autres degrés d’enseignement, manifestent dans leurs comportements des problèmes d’implication et d’engagement dans leurs études. On pourrait penser naïvement que ce phénomène n’existe pas dans l’enseignement supérieur et qu’il n’a pas de raison d’être dans la mesure où l’inscription dans ce niveau d’étude relève d’un choix qui se voudrait être plutôt positif.
Cette orientation choisie aboutissant souvent à une spécialisation devrait finalement prémunir « le supérieur » de ces difficultés. Or force est de constater que les enseignants de l’enseignement supérieur décrivent régulièrement des étudiants qui ne s’engagent pas réellement dans leurs études, des étudiants consommateurs de cours, des étudiants pour qui on se demande de façon récurrente s’ils sont dans la bonne filière, s’ils ont effectué les
C’est dans ce contexte qu’un groupe de travail et de recherche s’est constitué à l’ESPE de l’Académie de Caen en collaboration avec des enseignants de l’université qui travaillent dans le domaine des « Sciences de l’ingénieur ». Ce groupe de travail s’est imposé au regard des constats effectués ci-dessus et des difficultés rencontrées en termes de pédagogie pour impliquer les étudiants dans leur formation [3]. Les travaux du groupe se sont orientés vers des réflexions autour de la pédagogie et de la démarche de projet avec l’idée qu’elle pourrait être/qu’elle est une solution au problème d’engagement des étudiants.
Nous nous sommes interrogés sur les conditions pour qu’une telle démarche ait lieu et sur les indicateurs comportementaux qui nous permettent de mettre en évidence un gain d’engagement de la part des étudiants. Deux idées fortes se sont dégagées à propos de cette démarche ; la première est relative à l’authenticité des situations d’enseignement-apprentissage proposées aux étudiants et en conséquence à leur degré de complexité ; la seconde est liée au fait que ces situations d’enseignement-apprentissage prennent souvent de fait, sans forcément en avoir pleinement conscience, le statut de situations problèmes pour lesquelles les étudiants n’ont pas de réponse a priori et pour lesquelles les savoirs à construire seront une solution potentielle.
Dans une première partie nous présenterons quelques éléments de ce cadre didactique. Le projet de cette communication est d’interpeller à partir de celui-ci une séance de formation dans le domaine du management de projet. Cette séance s’inscrit dans le cadre d’une démarche agile dont nous présenterons les caractéristiques plus loin. Elle a été vécue par un des auteurs de cette contribution. Nous allons témoigner de cette expérience et l’analyser dans le contexte des situations problèmes et de la problématisation. L’idée est de comprendre ce qui s’est joué en termes d’engagement des acteurs au regard des caractéristiques du dispositif proposé et du problème qu’il pose aux différents protagonistes.
II. QUELQUES ELEMENTS AUTOUR DE LA DIDACTIQUE
Nous pouvons dans un premier temps proposer une définition de la recherche en didactique. Pour Johsua et Dupin (1989)
« La didactique d’une discipline est la science qui étudie, pour un domaine particulier, les phénomènes d’enseignements, les conditions de la transmission de la culture propre à une institution et les conditions de l’acquisition des connaissances par un apprenant ».
Faire de la didactique suppose donc de penser les interactions entre les propositions de l’enseignant et la façon dont elles sont reçues par les élèves. Nous pouvons d’ores et déjà poser comme une espèce de postulat le fait que « ces conditions de l’acquisition des connaissances » par les étudiants comme par les élèves en termes d’engagement ne préexistent pas forcément à la situation d’étude.
Ces conditions pour s’engager se construisent dans et par l’activité. L’enseignant a une part de responsabilité dans cette construction. Il se doit, d’une manière ou d’une autre, de prendre en charge la construction et le maintien du sens du travail scolaire/universitaire. Faire de la didactique s’est penser l’enseignement comme un moyen et l’apprentissage comme un but. Pour P. Pasté (2007), l’objet de l’activité de l’enseignant est le savoir à acquérir et les connaissances à transformer. L’activité d’enseignement vise à faire en sorte que ces acquisitions et que cette transformation se produisent.
Ces principes généraux ainsi posés, poursuivons notre réflexion dans le champ de la didactique.
La démarche de projet s’appuie souvent sur des situations problèmes auxquelles elle confronte les élèves en début de séquence avec l’idée de leur poser un problème pour lequel ils n’ont pas immédiatement de réponse. Ces situations, outre le fait qu’elles confrontent les élèves à des savoirs consistants, sont conçues pour permettent leur enrôlement ; faire naitre le désir et le besoin d’apprendre, identifier ce qui sera déterminant pour progresser. Elles doivent aussi permettre aux élèves de se situer et d’acter des progrès réalisés et des compétences construites.
Les situations d’enseignement-apprentissage proposées dans la démarche de projet sont souvent des situations qui essayent de composer authenticité et complexité.
Les principales caractéristiques de la situation problème sont [4] :
« L’élève doit pouvoir s’engager dans la résolution du problème. Il doit pouvoir y engager certaines de ses connaissances antérieures »
« La situation doit permettre à l’élève de décider si une réponse trouvée est bonne ou mauvaise, et ceci, sans que le professeur n’intervienne. (Autocontrôle de la validité) »
« Les connaissances de l’élève sont en principe insuffisantes pour qu’il résolve le problème »
« La connaissance visée doit être l’outil le plus adapté à la résolution du problème »
En cohérence avec ces caractéristiques, nous faisons le choix de définir ces situations à partir d’une structure ternaire ; un but, des contraintes et un critère de réussite (Le Bas, 2008). Ces différents éléments permettent de poser aux élèves les problèmes « didactiques » retenus. Pour autant, il ne faudrait pas voir dans les situations problèmes des dispositifs qui font apprendre par magie. La situation problème n’exclut pas l’intervention de l’enseignant qui va permettre les mises à distance de l’action et le questionnement sur les procédures pour assurer la compréhension des phénomènes mis à l’étude.
Réussir n’est pas comprendre et apprendre n’est pas simplement réussir. C’est dans ce contexte d’apprentissage que nous souhaitons préciser quelques éléments autour de la problématisation [5].
Pour M. Fabre (2005), la problématisation est « un processus multidimensionnel impliquant position, reconstruction et résolution de problèmes ». Dans ce processus, le plus important est de construire les problèmes [6] et les solutions n’ont de sens que par rapport aux problèmes dont elles découlent. Mais, inversement les problèmes ont les solutions que la pertinence de leur formulation permet. Dit autrement, la qualité des solutions retenues (problème technique) ou des explications fournies (problème théorique) est donc directement liée à la manière dont le problème a été envisagé et construit.
Dans le cadre de l’enseignement « par situations problèmes » deux écueils sont possibles : le premier est de privilégier les solutions sans véritablement construire les problèmes ; le second est de ne pas avoir identifié a priori la nature des problèmes posés et de mettre en scène des problèmes qui n’en sont pas ou des problèmes trop éloignés des ressources des élèves.
C’est avec ces « outils » didactiques que nous souhaitons questionner l’expérience relatée dans la partie suivante.
III. UNE EXPERIENCE DE MANAGEMENT DE PROJET EN DEMARCHE AGILE : LE LEGO4SCRUM
III.1 Le contexte de l’atelier Lego4scrum [7]
Nous allons dans cette partie décrire une expérience vécue de management de projet. Il s’agit d’un « atelier agile » [8] dans lequel les participants de tous horizons qui ne se connaissent pas ou très peu sont réunis autour d’un objectif commun, celui de construire ensemble une ville en légo.
La démarche de type agile se réclame de quelque chose de souple et de rapide. Elle touche le plus souvent les organisations et leur fonctionnement. Une organisation agile est une organisation qui s’adapte et qui comprend vite. L’agilité peut se décliner pour différents niveaux d’organisation ; on peut parler alors d’une famille agile, d’un individu agile ou d’une entreprise agile…
L’environnement agile considère qu’il est difficile pour un client de définir a priori ce dont il a besoin. L’expression de ces besoins et de la fonctionnalité du produit qu’il désire est à construire avec le concepteur de celui-ci. Il y a de fait une co-activité de conception entre le client et le « fabriquant ».
Plus globalement, les méthodes agiles considèrent qu’il est inutile avant de développer un produit d’en spécifier les moindres détails. L’approche agile prend le contre-pied des approches prédictives et séquentielles de conception de produit. Dans la démarche agile, les objectifs sont définis au fur et à mesure que le projet avance.
Plus que de « gestion de projet », les méthodes agiles parlent davantage de « gestion de produit ». Les méthodes agiles demandent une plus grande implication du client et permettent une meilleure réactivité des développeurs face à ses demandes. Dans la complexité des choses, elles permettent aussi de faire des choix et de prioriser ce qui doit être réalisé.
L’approche agile reconnaît l’intelligence collective comme une force efficace où la valorisation des compétences de chacun participe à une ambiance de travail sereine permettant la satisfaction de tous.
Le tableau suivant pose une comparaison entre la démarche de projet classique et la démarche de projet en contexte agile :
Démarche de projet Agile
Répondre au changement | Un plan |
Une collaboration avec le client | Un contrat |
Un produit qui fonctionne | Une documentation |
Des interactions entre des individus | Un process et des outils |
Il est à noter que les caractéristiques de la démarche de projet en contexte agile n’annulent pas les caractéristiques de la démarche de projet classique. La démarche agile n’exclut pas par exemple le contrat et le plan qui reste nécessaire dans une démarche commerciale. Ils ne doivent pas pour autant bloquer le processus de création du produit et sa co-conception en collaboration avec le client.
L’atelier consiste à construire une ville à plusieurs groupes de 3 ou 4 personnes qui ne se connaissent pas à partir d’un « cahier des charges ». Celui-ci est notifié sous la forme de post-it de couleurs différentes affichés sur un tableau.
Il faut par exemple une gare (et donc une voie ferrée), une usine, un lotissement, un hôpital, une église, une rivière, etc. Chaque élément du « cahier des charges » se voit attribuer une valeur de points qui va de 100 à 1000 points. Cela permet de donner un ordre de priorité dans le traitement des desidérata du commanditaire/maître d’ouvrage.
Le client Jean-Luc [9] était par exemple très attaché au fait qu’il y ait une gare dans sa ville. La valeur des éléments construits, permet aussi d’attribuer un score collectif par étape de la réalisation du projet. Chaque groupe dispose d’une boite de légos standardisée (référence 6177) comme on en trouve dans le commerce. L’animateur (scrum-master) a préalablement disposé sur une grande table une nappe en papier blanc qui servira de support pour réaliser la ville. A la demande du scrum-master, les équipes se sont attribuées des noms.
A partir du cahier des charges et des post-it porteurs d’un élément de construction ou d’un élément de structuration, le travail s’organise de la manière suivante :
Un premier temps de planification collective inter-équipes est réalisé. Sa durée est de 5 minutes. Il s’agit ici de se répartir le travail à effectuer en termes de construction.
Les post-it correspondant aux différentes constructions sont mis en dessous du nom des équipes.
S’en suit un deuxième temps de travail cette fois-ci par équipe. On parle de sprint. Sa durée est de 10 minutes. Il faut à présent construire réellement les éléments constitutifs de la ville. Les premières réalisations seront posées sur la table à l’issue de ce premier sprint.
Une deuxième planification inter-équipes a lieu, elle est l’occasion de réguler le travail, d’ajuster la conception de la ville et de créer de nouveaux post-it sur lesquels de nouvelles constructions ou de nouveaux éléments de structuration de la ville qui n’étaient pas prévus initialement sont notifiés.
Vient ensuite un nouveau sprint.
L’atelier se termine par une nouvelle planification inter-équipes suivie par un dernier sprint. La dernière planification est une nouvelle occasion de réguler le projet. A la fin du dernier sprint, la ville doit être finie et « livrable ».
Au cours des différents moments de l’atelier, le scrum-master rappelle régulièrement les échéances de temps et fait valoir une certaine pression temporelle. A l’issue des sprints et au cours des planifications le client valide ou invalide les réalisations.
Il est important de préciser que le lego4Scrum est avant tout un exercice « pédagogique » visant à enseigner le management de projet. Le lego4scrum permet d’enseigner, via une expérience concrète, les principes du travail en équipe et de la relation client. Le client, souvent joué par un enseignant, est l’unique référence du besoin.
Il juge la production de l’équipe et la corrige si elle ne correspond pas à ce qui est attendu. Il a investi dans le projet. Il est donc impliqué pour que le projet réussisse, il se doit donc d’être cohérent. Il peut se tromper, mais le reconnaît. Il est ouvert à la discussion. Il ne doit en aucun cas être capricieux, mais il découvre par contre son besoin au fur et à mesure du projet et le précise à l’équipe ce qui peut générer des tensions que celle-ci devra apprendre à gérer.
Un second enseignant joue le rôle de coach et aide l’équipe à s’organiser. Il introduit les concepts d’organisation d’équipe et anime l’atelier en gérant les différentes séquences et leur durée.
III.3 Les comportements observés chez les pratiquants
D’un point de vue méthodologique, un des auteurs de cet article se situe dans une situation d’observation participante. Il n’a pas d’hypothèses a priori dans la mesure où il découvre l’atelier. De par son positionnement (travail sur l’engagement des étudiants et didacticien), il « perçoit » l’atelier avec le filtre de l’implication des participants et du problème que la situation leur pose.
Au cours de la réalisation de l’atelier, nous constatons :
Des participants qui jouent le jeu et qui se prennent au jeu ; une vraie émulation.
Des participants qui coopèrent avec les autres équipes lors des planifications et au sein de chaque équipe lors des sprints. Les collaborations sont de plus en plus efficaces au fur et à mesure que le projet avance.
Des échanges timides et réservés lors de la première planification et lors du premier sprint, puis les comportements se libèrent.
Aucune relation de hiérarchie dans les équipes et entre les équipes ne semble se manifester. Des participants (dont un étudiant parmi des enseignants) « prennent la main » lors des planifications pour organiser le travail.
Des initiatives sont prises pour « combler les blancs » de la commande ; des post-it pour les routes et pour la rivière ont été ajoutés.
Des participants qui justifient leurs « choix architecturaux » ; le toit végétalisé de la gare ou l’unité des couleurs de l’usine, etc.
La dernière planification intègre la nécessité de finir le projet. Elle permet de prioriser ce qui sera réalisé. Certaines choses ne le seront pas.
Au cours du dernier sprint, les participants intègrent davantage l’échéance de temps pour finir dans de bonnes conditions le travail.
En réaction à nos propositions, Jean-Luc, le client, a eu de nouvelles idées/envies pour sa ville. Il redéfinit la commande en cours de route.
Plus globalement, nous avons vu un collectif au travail qui devient de plus en plus efficace dans sa façon de mener le projet et d’intégrer la commande.
De gauche à droite : le tableau qui organise les sprints, les différents groupes au travail, la ville en légo construite
IV. UNE LECTURE DIDACTIQUE DE L’ATELIER LEGO4SCRUM
Cette lecture va se faire de deux points de vue ; le premier autour du statut et des fonctions de la situation problème que peut représenter le lego4scrum et le second à partir du processus de problématisation qui a pu s’engager pour construire cette ville. Ces deux points de vue portent indirectement nos hypothèses initiales.
IV.1 Le Lego4scrum, une situation problème ?
Nous pouvons transformer les consignes du légo4scrum dans la structure de la situation problème évoquées en amont (un but, des contraintes, un critère de réussite). Le but est facilement identifiable, ainsi que le système de contraintes qui obligent et orientent l’activité des participants. Nous émettons cependant une réserve par rapport au critère de réussite. Nous y reviendrons.
Nous reprenons ici les caractéristiques de la situation problème évoquées plus haut.
Pour la première (les possibilités de l’engagement de l’élève), le but et le système de contraintes permettent et facilitent l’engagement. L’activité proposée, bien qu’éloignée de nos préoccupations et de nos activités professionnelles, est plutôt agréable si nous nous laissons prendre au jeu. Notre participation est volontaire. Nous avons là un défi collectif qu’il faut relever. Un certain nombre d’éléments participe à mettre de l’enjeu et à rendre le jeu « sympathique » ; les contraintes de temps, le nom des équipes, les incertitudes du client, etc. Enfin, nous pouvons dire que nous avions les ressources pour réaliser l’activité.
Pour la deuxième caractéristique (la validation de la réponse de l’élève), le critère de réussite n’est pas spécifiquement précisé. Il s’explicite au fur et à mesure de l’atelier et reste fluctuant. D’un point de vue didactique au regard des fonctions que l’on souhaite faire jouer à la situation problème, cet aspect est un peu perturbant, même si nous en comprenons l’intérêt dans une telle démarche. Cela ne nous a pas empêché de nous situer et d’évaluer notre travail, mais nous n’avons pas eu accès directement aux critères de satisfaction du client ; une ville fonctionnelle, une ville architecturalement innovante, une ville avec des belles couleurs (de légos) … ou tout cela à la fois. Le fait que le client ne soit pas capable de définir a priori son besoin et ses envies introduit une certaine incertitude qui est peu courante dans les situations problèmes.
La troisième caractéristique (les connaissances disponibles a priori) est à raisonner par rapport à ce que nous savions faire avant cet atelier. Nous savions jouer au légo et nous avions quelques connaissances sur ce qu’est l’organisation d’une ville. Nous n’avions peut-être pas été confrontés à une telle organisation collective du travail avec des contraintes aussi fortes. La première planification et le premier sprint ont mis en avant une certaine difficulté de notre part à organiser le travail. S’agit-il d’un véritable problème de connaissances dont nous ne disposions pas ou d’une simple difficulté à s’organiser collectivement ?
La quatrième et dernière caractéristique (la connaissance visée comme outil) interpelle le lego4scrum du point de vue de ses contenus d’apprentissage. Au final quelle est dans cet atelier agile la connaissance/le savoir en jeu ? De quelle nature est le problème posé ? S’agit-il d’un problème d’urbanisation ou d’un problème d’organisation du travail et/ou de méthode de travail ? Nous pencherions plutôt pour la deuxième solution, mais il conviendrait d’en définir la spécificité par rapport à d’autres mises en situation qui poserait des problèmes de même nature. D’un point de vue didactique, est-il possible de nommer le savoir comme on nommerait en mathématiques « les propriétés des figures planes » ? Enfin, si nous sommes parvenus à traiter le problème posé en quoi sommes-nous individuellement et collectivement devenus plus compétents
Dans une logique commerciale (management de projet informatique pour concevoir des applications de Smartphones), on se doute que le constat de la réussite est lié à l’étendue de l’usage qui va être faite de l’application. Cette logique nous paraît difficilement transférable dans le champ de l’école, même si pour certains secteurs d’intervention (enseignement technique au sens large), la présence d’un vrai usager/ client serait de nature à garantir l’authenticité des situations proposées.
IV.2 Lego4scrum et problématisation
Pour finir il nous semble intéressant de penser le lego4scrum dans le cadre de la problématisation au regard de la position/identification du problème et de sa reconstruction.
Notre engagement dans l’atelier et la prise en charge des tâches à effectuer semblent plaider pour le fait que nous ayons identifié le problème et que la situation aidée par l’animateur en ait permis la position. La situation a effectivement posé des problèmes d’organisation et de priorisation des taches à effectuer pour atteindre le but escompté. Pour autant, malgré le résultat atteint avons-nous tous reconstruit le même problème ? Des problèmes d’urbanisation, d’esthétisme architectural ou de solidité des constructions (harpage et chainage) n’ont-ils pas pu « polluer » le problème d’organisation du travail collectif que l’atelier est censé poser ? Si ce n’est pas le cas ou si ces « pollutions » ont été minimes, avons-nous accédé aux conditions de possibilités d’une telle organisation du travail ? Avons-nous conceptualisé la situation et ses contraintes au regard des solutions apportées pour dégager les conditions susceptibles d’être réengagées dans des situations appartenant à la même classe de problème ? Ceci est déterminant pour qu’il y ait apprentissage ; passer de la simple action dans un dispositif à l’apprentissage dans et par ce dispositif. Il nous semble que le débriefing de fin d’atelier a permis en partie cela.
Pour conclure sur la problématisation et la spécificité du problème posé, nous pouvons dire que celui-ci est assez ouvert, voire évolutif. Nous pouvons aussi le situer dans la catégorie des problèmes techniques [10] où il s’agit dans un régime de contraintes et de ressources de produire une solution. Par problème évolutif, nous
voyons un problème qui n’est pas défini à l’avance et qui se spécifie en progressant dans la réalisation de la solution. C’est un problème de conception qui s’élabore à partir des contraintes et des usages anticipés, mais les opportunités d’usages qui apparaissent en cours de construction redéfinissent le problème. La solution finalement n’existe pas a priori, elle se spécifie à l’usage et dans les interactions entre les différents membres de l’organisation à laquelle le client est fortement associé. Les possibles sont nombreux d’où la difficulté à rendre compte de la réussite puisqu’il y a des réussites. De ce point de vue, nous sommes un peu dans la logique des activités artistiques où il n’y a pas de bonne et de mauvaise solution, mais des solutions qui « touchent » ou « ne touchent pas » ceux qui reçoivent les oeuvres.
V. CONCLUSION
Le Lego4scrum est un dispositif visant à enseigner le management de projet. Nous l’avons interrogé à partir du cadre didactique des situations problèmes et de la problématisation entendue comme une démarche d’intervention permettant de dépasser la réussite sans compréhension. Les principes du travail en équipe et de la relation client peuvent être considérés comme les savoirs qu’il va falloir s’approprier pour résoudre le problème d’organisation collective que le légo4scrum pose. Dans ce contexte problématique, il serait intéressant d’étudier les obstacles susceptibles d’empêcher la prise en charge des problèmes posés. L’obstacle est à envisager comme ce que sait déjà le sujet à propos du savoir en jeu. Cette connaissance est à la fois un point d’appui qui permet de s’engager dans la situation, mais elle est aussi à l’origine de résistances. Il est probable que la méthode agile et sa façon spécifique d’aborder le management du travail génèrent des obstacles.
Le légo4scrum et plus généralement l’approche agile de part son approche originale interpellent comme nous l’avons vu le cadre des didactiques disciplinaire qui se réclament des situations problèmes et de la problématisation. Le croisement des deux approches nous paraît prometteur et nous laisse entrevoir de belles perspectives de travail d’ingénierie de formation dans le champ de l’enseignement supérieur.
REFERENCES
Douady, R. (1986). Jeux de cadres et dialectique outil-objet. Recherches en didactique des mathématiques, Vol. 7.2 (La pensée sauvage).
Fabre, M. (1999). Situations problèmes et savoir scolaire. Paris : PUF.
Fabre, M. (2005), « Éditorial », Recherche et Formation, n° 48.
Josuah S. et Dupin J.-J. (1993). Introduction à la didactique des Sciences et des mathématiques. Paris : PUF.
Le Bas, A (2008). Situation de pratique scolaire, transposition didactique et problématisation. Communication présentée au colloque international : Les didactiques et leurs rapports à l’enseignement et à la formation. Quel statut épistémologique de leurs modèles et de leurs résultats. Bordeaux, mai.
Pastré, P. (2007). Quelques réflexions sur l’organisation de l’activité enseignante.Recherche et formation, 56, 81-93.